Cameroun. Conditions de détention effroyables, voire tortures à mort, pour plus de 1 000 personnes accusées de soutenir Boko Haram
· En raison de la surpopulation qui règne dans la prison de maroua, jusqu’à huit détenus y meurent chaque mois.
· Plus de 100 personnes, dont des femmes, ont été condamnées à mort par des tribunaux militaires.
· Les attaques de boko haram au cameroun ont fait près de 500 morts en 2015.
Plus de 1 000 personnes, dont beaucoup ont été arrêtées arbitrairement, sont détenues dans des conditions épouvantables, et plusieurs dizaines d’entre elles meurent des suites de maladie, de malnutrition ou de torture dans le cadre des opérations de répression menées contre Boko Haram par les forces de sécurité et les autorités camerounaises, a révélé Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public jeudi 14 juillet.
Dans ce rapport, intitulé Bonne cause, mauvais moyens : atteintes aux droits humains et à la justice dans le cadre de la lutte contre Boko Haram au Cameroun, l’organisation montre que l’offensive militaire lancée contre Boko Haram a entraîné des violations des droits humains généralisées contre les civils dans la région de l’Extrême-Nord du pays.
« En cherchant à protéger la population de la violence de Boko Haram, le Cameroun vise le bon objectif, mais en arrêtant arbitrairement des gens, en les torturant et en les soumettant à des disparitions forcées, il n’emploie pas les bons moyens pour parvenir à l’objectif visé, a déclaré Alioune Tine, directeur du bureau régional d’Amnesty International pour l’Afrique centrale et de l’Ouest.
« Des centaines de personnes sont arrêtées en l’absence de tout motif raisonnable permettant de penser qu’elles ont commis une infraction, et des morts en détention sont signalées chaque semaine dans les prisons surpeuplées du pays : le gouvernement camerounais doit agir de toute urgence s’il veut tenir la promesse qu’il avait faite de respecter les droits humains dans son combat contre Boko Haram. »
Les conclusions des recherches d’Amnesty International sont publiées quelques semaines seulement après qu’un attentat-suicide perpétré à Djakana, près de Limani, a fait 11 morts. C’est la dernière attaque en date d’une longue série qui a provoqué la mort de 480 civils depuis le début de l’année. Sur les 46 attentats-suicides de Boko Haram, la moitié environ ont été perpétrés par des enfants.
Prison de Maroua : jusqu’à huit morts en détention chaque mois
Plus de 1 000 personnes accusées de soutenir Boko Haram sont actuellement détenues dans des prisons extrêmement surpeuplées et insalubres, où la malnutrition est monnaie courante. À la prison de Maroua, par exemple, entre six et huit personnes meurent chaque mois. Malgré quelques efforts de rénovation de l’approvisionnement en eau et le début de travaux de construction de nouvelles cellules, les conditions carcérales demeurent inhumaines, avec près de 1 500 personnes détenues dans un bâtiment censé en accueillir 350. Les visites des familles sont strictement limitées.
Arrestations arbitraires et exécutions extrajudiciaires
Les personnes arrêtées par les forces de sécurité, qui s’appuient souvent sur de minces éléments ou des motifs arbitraires et, parfois, visent des groupes entiers, sont venues gonfler la population carcérale. Ainsi, à Kossa, 32 hommes ont été rassemblés et arrêtés en février 2015, car le village était accusé de fournir de la nourriture à Boko Haram. La plupart ont été libérés ultérieurement, mais un homme est mort en détention.
Les interpellations sont souvent marquées par un recours injustifié ou excessif à la force. En novembre 2014, lors d’une opération dans le village de Bornori, des membres de la Brigade d’intervention rapide (BIR) ont exécuté illégalement sept civils non armés et en ont arrêté 15 autres, avant de revenir dans les semaines suivantes pour incendier des maisons. Lors d’une autre opération en juillet 2015 à Kouyapé, des soldats de l’armée régulière ont rassemblé environ 70 personnes avant de les agresser.
Décès des suites de torture en détention au secret
Amnesty International a recueilli des informations sur 29 personnes qui ont été torturées par des membres des forces de sécurité entre novembre 2014 et octobre 2015. Six sont mortes par la suite. Les actes de torture ont été infligés pour la plupart alors que les victimes étaient détenues au secret dans des lieux de détention illégaux, en particulier des bases militaires gérées par le BIR à Salak, non loin de Maroua, et à Mora, avant d’être transférées dans des prisons officielles. Elles ont raconté avoir été longuement frappées à coups de bâton, de fouet et de machette, parfois jusqu’à perdre connaissance.
Un vieil homme de 70 ans détenu à Salak a confié à Amnesty International qu’il avait vu des hommes en civil torturer son fils pendant 10 jours dans la base du BIR, et deux détenus être frappés à mort :
« Nous avons tous été interrogés dans la même pièce, l’un après l’autre, par un homme qui portait l’uniforme du BIR. Deux autres hommes en civil se chargeaient des passages à tabac et des autres tortures. Ce jour-là, deux détenus ont été si violemment battus qu’ils sont morts devant nous. Les hommes en civil leur donnaient de grands coups de pied, les giflaient violemment et les frappaient avec des bâtons en bois. »
Le vieil homme a ajouté :
« Je n’ai pas été battu, car je suis vieux. C’est donc moi qui les ai aidés à transporter les deux corps de la salle d’interrogatoire à la cellule. Cette nuit-là, nous avons dormi dans la cellule avec deux cadavres. Le lendemain, des membres du BIR sont arrivés, ils nous ont jeté des sacs en plastique, nous ont demandé d’y mettre les corps, puis sont venus les récupérer. Je ne sais pas où ont été emmenées les dépouilles, ni si elles ont été enterrées. »
Des actes de torture ont également été signalés à la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE) à Yaoundé. Après son arrestation en juillet 2015, le journaliste de Radio France Internationale (RFI) Ahmed Abba y a été déshabillé et passé à tabac.
Amnesty International a également recensé 17 cas de disparitions forcées. On ignore toujours ce qu’il est advenu des victimes depuis leur arrestation il y a près de deux ans.
Plus de 100 condamnations à mort à l’issue de procès militaires inéquitables
Quand les personnes soupçonnées de soutenir Boko Haram sont jugées, elles comparaissent devant des tribunaux militaires qui, la plupart du temps, prononcent la peine capitale à leur encontre. Plus de 100 personnes, dont des femmes, ont été condamnées à mort par le tribunal militaire de Maroua depuis juillet 2015. Aucune n’a toutefois été exécutée à ce jour.
Les condamnations reposent fréquemment sur des éléments limités, comme les déclarations d’informateurs anonymes qui ne peuvent pas faire l’objet de contre-interrogatoires, ou encore des preuves indirectes, l’accusé étant incapable d’expliquer pourquoi il a quitté son village ou pourquoi il a perdu sa carte d’identité. Les avocats, mal payés et surmenés, n’ont pas les ressources nécessaires pour assurer une bonne défense.
Amnesty International a assisté au procès de quatre femmes qui ont été déclarées coupables et condamnées à mort en avril 2016 avec, pour seul élément à charge, la déclaration d’un membre d’un comité local de surveillance à leur retour du Nigeria où elles travaillaient en tant qu’employées de maison. Elles n’ont vu leur avocate que pendant une courte pause lors du procès.
« Après être arrêtées sans motif raisonnable et détenues dans des conditions déplorables en attendant d’être jugées, des personnes risquent d’être reconnues coupables et condamnées à mort par des tribunaux militaires, sur la base de preuves minces, voire inexistantes, à l’issue de procès d’une iniquité flagrante », a déclaré Alioune Tine.
Des lois antiterroristes draconiennes
Les poursuites se font généralement au titre de la loi antiterroriste adoptée en décembre 2014 et proposant des définitions ambiguës du terrorisme qui menacent la liberté d’expression.
Ce texte a été invoqué pour poursuivre en justice un homme de 27 ans, Fomusoh Ivo Feh, arrêté après avoir envoyé à des amis un SMS sarcastique, où il plaisantait sur le recrutement de jeunes diplômés par Boko Haram. Il est actuellement jugé par le tribunal militaire de Yaoundé et risque la peine de mort.
« Si un étudiant peut encourir la peine de mort à cause d’un SMS sarcastique, les dispositions de la loi antiterroriste camerounaise et l’utilisation qui en est faite posent de toute évidence un grave problème. Les autorités doivent modifier ce texte et veiller à ce qu’il offre un cadre de protection de la population sans pour autant les priver de ses droits », a déclaré Alioune Tine.
Amnesty International demande au gouvernement de mettre en œuvre de toute urgence une série de mesures pour prévenir les violations des droits humains dans le cadre de son combat contre Boko Haram. L’organisation l’exhorte en particulier à : mettre fin aux arrestations arbitraires et massives ; conduire les suspects directement dans des centres de détention officiels ; ne plus pratiquer la torture ; veiller à ce que les détenus puissent entrer en contact avec leur famille et leur avocat ; créer un registre centralisé de toutes les personnes détenues ; améliorer les conditions carcérales ; modifier la loi antiterroriste et enquêter sur toutes les allégations de violations des droits humains.
Complément d’information
Entre octobre 2015 et juillet 2016, Amnesty International a rencontré plus de 200 personnes dans la région camerounaise de l’Extrême-Nord. L’organisation a recueilli des informations sur plusieurs centaines d’arrestations, s’est rendue dans des établissements pénitentiaires, a assisté à des procès et a rassemblé des éléments précis sur 82 cas individuels d’atteintes aux droits fondamentaux de la part des autorités et des forces de sécurité camerounaises. Elle a également analysé des images satellite d’un village où des maisons avaient été incendiées par les forces de sécurité. Les principales conclusions du rapport ont été reprises dans un courrier envoyé aux autorités camerounaises le 7 mai 2016, sans réponse à ce jour.
Les exactions perpétrées par Boko Haram ont amené plus de 170 000 personnes au Cameroun, principalement des femmes et des enfants, à quitter leur foyer : elles sont à présent déplacées à l’intérieur de leur pays, dans toute la région de l’Extrême-Nord. Plus de 65 000 réfugiés qui ont fui les attaques du groupe armé au Nigeria vivent également au Cameroun.
Cameroon: More than 1,000 people accused of supporting Boko Haram held in horrific conditions, some tortured to death
- Up to eight people dying each month as a result of desperately overcrowded conditions in Maroua Prison
- More than 100 people, including women, sentenced to death before military courts
- Boko Haram attacks in Cameroon killed nearly 500 people in the last year
More than 1,000 people, many arrested arbitrarily, are being held in horrific conditions and dozens are dying from disease and malnutrition or have been tortured to death, as part of the Cameroonian government and security forces crackdown on Boko Haram, Amnesty International revealed in a new report published today.
The report Right cause, wrong means: Human rights violated and justice denied in Cameroon’s fight against Boko Haram details how the military offensive against Boko Haram has resulted in widespread human rights violations against civilians in the Far North region of the country.
“In seeking to protect its population from the brutality of Boko Haram, Cameroon is pursuing the right objective; but in arbitrarily arresting, torturing and subjecting people to enforced disappearances the authorities are using the wrong means,” said Alioune Tine, Amnesty International West and Central Africa Regional Director.
“With hundreds of people arrested without reasonable suspicion that they have committed any crime, and people dying on a weekly basis in its overcrowded prisons, Cameroon’s government should take urgent action to keep its promise to respect human rights while fighting Boko Haram.”
The findings come just weeks after a suicide attack by Boko Haram in Djakana, near Limani killed 11 people. This was the latest in an onslaught that has claimed 480 civilian lives this year. Approximately half of Boko Haram’s 46 suicide attacks have been carried out by children.
Up to eight people dying each month in Maroua Prison
More than 1,000 people accused of supporting Boko Haram are currently detained in desperately overcrowded prisons, in insanitary conditions where malnutrition is rampant. In Maroua prison, for example, between six to eight people die each month. Despite some efforts to improve the water supply and begin the construction of new cells, conditions in the prison remain inhumane with nearly 1,500 people detained in a building built for 350. Family visits to detainees are strictly limited.
Arbitrary arrest and extrajudicial killings
Arrests conducted by security forces, often on the basis of little information or arbitrary criteria and sometimes targeting whole groups, have swelled prison populations. In February 2015 for example, in Kossa, 32 men were rounded up and arrested based on accusations that the village was providing food to Boko Haram. Most were later released, but one man died in custody.
Arrests have also often been accompanied by unnecessary or excessive use of force. In November 2014 members of the Rapid Intervention Brigade (BIR) unlawfully killed seven unarmed men during an operation in the village of Bornori, and arrested 15 others, before returning in the following weeks to burn houses. In another example from July 2015, soldiers from the regular army rounded up and assaulted approximately 70 people in Gouapé.
Tortured to death while detained incommunicado
Amnesty International documented 29 cases of people being tortured by members of the security forces between November 2014 and October 2015, including six who subsequently died. Most cases of torture were committed while people were held incommunicado at illegal detention sites in military bases run by the BIR in Salak, near Maroua, and Mora, before being transferred to the official prisons. Victims described being beaten for long periods with sticks, whips and machetes, sometimes until they lost consciousness.
One 70 year-old man detained at Salak told Amnesty International how he had watched men in plain clothes torture in the BIR base his son for 10 days, and how he saw two men beaten to death:
“We were all interrogated in the same room, one by one, by a man dressed with the BIR uniform. Two other men in plain clothes carried out the beatings and other torture. That day, two prisoners were beaten up so badly that they died in front of us. The men in plain clothes kicked them and slapped them violently, and hit them with wooden sticks.”
The same 70 year-old man said:
“I was not beaten because I am old, so I was the one to help carrying the two dead bodies from the interrogation room to the cell. That night we slept in the cell with two dead bodies, and the day after the BIR came, threw plastic bags towards us, asked us to put the bodies inside and then came to collect them. I don’t know where the bodies were taken and whether they were ever buried.”
Torture was also documented at the General Directorate of External Research (DGRE) in Yaoundé, including the Radio France Internationale (RFI) journalist Ahmed Abba who was stripped and beaten following his arrest in July 2015.
Amnesty International also documented the cases of 17 victims of enforced disappearances whose whereabouts remain unknown following their arrest since almost two years.
More than 100 people sentenced to death in unfair military trials
In cases where detainees suspected of supporting Boko Haram are brought to trial, they face military courts in which the death penalty is by far the most likely outcome. More than 100 people, including women, have been sentenced to death in Maroua’s military court since July 2015, although none have yet been executed.
Defendants are often convicted on the basis of limited evidence, including the testimonies of anonymous informants who cannot be cross-examined, or circumstantial evidence such as a defendant’s failure to explain a journey away from their home village or the loss of an identity card. Poorly paid and over-stretched government-provided lawyers are too under-resourced to provide an adequate defence.
Amnesty International observed the trial of four women who were convicted and sentenced to death in April 2016 solely on the basis of a statement made by a member of a local vigilante committee after they returned from Nigeria where they were working as domestic servants. Their only contact in the whole process with a lawyer was during a short break in the court proceeding.
“After being arrested without reasonable cause and suffering in dire prison conditions while awaiting trial, people from all across Cameroon risk being convicted and sentenced to death by military courts, based on little or no evidence, in patently unfair trials,” said Alioune Tine.
Draconian anti-terror laws
Most defendants are charged under an anti-terrorism law introduced in December 2014. This law provides ambiguous definitions of terrorism that threaten freedom of expression.
The law has been used against a 27 year-old man, Fomusoh Ivo Feh, who was arrested after having sent a sarcastic SMS message to his friends, joking about Boko Haram recruiting young graduates. He is being tried by the military court in Yaoundé and could face the death penalty.
“If a student can face the death penalty for sending a sarcastic text message, it is clear that there is a serious problem with the design and use of Cameroon’s anti-terrorist legislation. The authorities should reform the law and ensure it provides a framework for protecting the population without stripping away their rights,” said Alioune Tine.
Amnesty International is calling for the government to urgently implement a range of measures to prevent human rights violations in its fight against Boko Haram. These include ending mass and arbitrary arrests, bringing suspects directly to official detention sites, stopping torture, ensuring detainees’ access to families and lawyers, establishing a central register of detainees, improving prison conditions, reforming the anti-terrorism law and investigating all allegations of human rights violations.
BACKGROUND
Between October 2015 and July 2016, Amnesty International interviewed more than 200 people in the Far North region of Cameroon, documenting incidents in which hundreds of people were arrested, visiting prisons, observing trials, and collecting detailed information on 82 individual cases of human rights violations by the Cameroonian authorities and security forces. The organisation also analysed satellite images of one village in which houses were burnt by security forces. The main findings of the report were sent in writing to the authorities on 7 May 2016, but no response was received.
As a result of Boko Haram’s abuses, over 170,000 people from Cameroon, mostly women and children, have fled their homes and are now internally displaced across the Far North region. Cameroon also hosts over 65.000 refugees who have fled the armed group’s attacks in Nigeria.
Source: www.amnesty.org